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ISSN 2496-9346

vendredi 13 mars 2015

Marquis de Dion, L'automobile et la guerre future (1906)

En 1906, le marquis de Dion propose au magazine Je Sais tout un long article intitulé L'automobile reine du monde superbement illustré par Henri Lanos. Il y décrit un avenir radieux pour la voiture (il est l'un des pionniers de l'industrie automobile).
La même année le périodique Le Voleur illustré propose un extrait de ce texte et la vision change radicalement car la partie sélectionnée est uniquement consacrée à la guerre future et à la part prise par l'automobile.


L'automobile Reine du monde





Nul doute de l'énorme accroissement que, dans un avenir prochain, est appelé à prendre la locomotion automobile. Le marquis de Dion, l'éminent promoteur de cette admirable industrie, veut bien donner ici un aperçu de son universelle prospérité future.


L'automobile et la guerre future.

Deux ou trois fois déjà, depuis dix ans, des expériences de mobilisation ont eu lieu. Et les automobiles de nos grands constructeurs, et même des particuliers, réquisitionnées comme jadis pouvaient l'être des chevaux, ont massé en quelques heures à la frontière tout un corps puissant, et par le nombre et par la rapidité de ses évolutions. Je me souviens qu'en 1905, un journal illustré s'était plu à imaginer ce que serait une mobilisation future. Et il me représentait, dans la grande cour de mon usine, entouré d'officiers prêts à partir dans les quelques cents voitures que je mettais à la disposition de l'armée française. Mes chefs de – service, mes meilleurs mécaniciens avaient sur la photographie « truquée » qui représen­tait cette scène, endossé l'uniforme et coiffé le képi.
Or, c'est aujourd'hui la réalité. Une mobili­sation générale comporte celle des automo­biles.
Quant à l'artillerie, elle compte maintenant en grand nombre les fameuses mitrailleuses blindées, filant à 50 à l'heure sur les routes, à 30 à l'heure dans les terres labourées. Le mécanicien conduit sans être vu, les artilleurs sont dissimulés dans leur tourelle à «éclipse». Et le tout, hommes, mitrailleuse, partie motrice de la machine, le tout est à l'abri des balles et des shrapnells qui viennent s'aplatir sur des blindages spéciaux, absolument invulnérables. De telles mitrailleuses automo­biles peuvent se déplacer avec une vertigineuse rapidité d'un point à l'autre du champ de bataille, secourir l'aile menacée, renforcer ensuite celle qui commence à perdre l'avan­tage et accentuer cet avantage de façon à assurer la victoire définitive.
Quant à l'infanterie, l'automobile est désor­mais pour elle d'une aide précieuse. Il y a encore vingt ans, les colonnes étaient encom­brées et retardées par les convois indispen­sables au ravitaillement en vivres et en muni­tions.
Maintenant ce sont des fourgons militaires à moteur robuste et régulier qui suivent l'in­fanterie sans la gêner, la précédant même chaque fois qu'il est nécessaire, évoluant dans un rayon d'action beaucoup plus étendu. Les « impedimenta »qui gênaient tant autre­fois l'infanterie n'existent plus.



En arrivant à l'étape, le soldat trouve sa soupe chaude, il n'est plus besoin comme autrefois qu'il la fasse lui-même dans la mar­mite qu'il portait sur son sac. En effet, chaque compagnie comme chaque batterie d'artillerie, du reste, a sa cuisine roulante automobile, qui a pu trouver en route le bœuf et les légumes nécessaires pour préparer, tout en roulant, le bon pot-au-feu qui fera oublier sa fatigue au soldat, au combattant. Ne riez pas! Il a été prouvé que cette question, suivant qu'elle était bien résolue ou non, pouvait influer sur le résultat des opérations en temps de guerre. Au lendemain de la guerre russo- japonaise, un écrivain militaire du temps, tout en signalant l'apparition des « marmites roulantes », mais non encore automobiles, rappelait que le 16 août 1870, à Rezonville, nos soldats commençaient à préparer leur soupe lorsque l'on cria « aux armes ! »
Ils combattirent le ventre vide, et bientôt les plus vaillants se trouvèrent démoralisés, incapables d'un nouvel effort. Le mot du maréchal Bugeaud est célèbre : « la soupe fait le soldat ! » Eh bien, maintenant, grâce à l'intendance automobile, à la cuisine roulante automobile, le combattant est toujours sûr d'avoir sa soupe chaude.

Et enfin, ceux de nos officiers qui sont chargés de diriger et de coordonner tous les mouvements de ces troupes, ont eux aussi, grâce au moteur, une mobilité d'action qui leur permet d'être partout à la fois, de sur­veiller par eux-mêmes les points sensibles, d'aller en un clin d'œil là où leur pré­sence est nécessaire. Ils ont à leur disposi­tion les meilleures voitures réquisitionnées au premier jour de la mobilisation; ils sont conduits par les plus fameux champions des grands concours de tourisme et d'endu­rance, ceux-là même qui autrefois triomphaient dans les défuntes coupes Gordon Bennett.


Ainsi tout l'ensemble de l'armée s'est mo­difié, la tactique moderne a des moyens nou­veaux à sa disposition, des moyens puissants dont elle sait user au mieux, grâce à toutes les successives expériences qu'ont permises les grandes manœuvres de chaque année depuis 1910 ou 1915
Voilà mon rêve! Voilà le rôle que jouera l'automobile dans quelque vingt-cinq ans- Ce rêve pousse peut-être un peu trop loin les choses, mais je suis certain que la réalité jus­tifiera la plus grande partie de ces imagina­tions quelque peu hardies à l'heure actuelle.

In Le Voleur illustré, n° 2549,  13 mai 1906

A lire:
Le texte complet est disponible sur le site Sur l'Autre face du monde


Merci à Blouzouga Memphis qui m'a rappelé les belles images d'Henri Lanos.

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