ISSN

ISSN 2496-9346

mardi 17 février 2015

H.D., Apologue (1846) anticipation religieuse




Voici pour une foi(s) (vous apprécierez la qualité du jeu de mot après lecture), une anticipation religieuse publiée en 1846. Il est certain que ce n'est pas la première édition. C'est un extrait d'un ouvrage que je n'ai pas réussi à identifier (chapitre VI de Réflexions : dans le périodique il est écrit "Refexions" [sic] ). L'auteur lui non plus n'est pas identifié hormis ses initiales. Le Courrier de la Drôme et de l'Ardèche publiait des extraits d'ouvrages dans sa rubrique feuilleton sans toujours indiquer les références bibliographiques. Toute information pour localiser le texte original est la bienvenue.
(l'orthographe d'origine est respectée comme pour les mots "savannes" ou "Danemarck")


Apologue


C'était vers la fin du vingtième siècle de l'ère chrétienne en l'année 19....
La paix régnait depuis cent cinquante ans et l'activité de l'homme tout entière vouée aux progrès de la civilisation avait produit durant cet espace de temps des résultats miraculeux. Le monde se trouvait à peu près transformé au moral comme au physique.
La politique parvenue à son apogée le plus brillant était calme et heureuse. Il ne restait plus rien à faire pour les intérêts sociaux de l'humanité mise en possession définitive de tous ses droits publics et privés. Il n'y avait plus nulle part ni tyrans ni esclaves ni serfs ni prolétaires. La loi était pour tous et au-dessus de tous.
L'industrie enfantait merveilles sur merveilles, occupait les bras, utilisait les richesses, ennoblissait le travail, éteignait la pauvreté, égalisait paisiblement les conditions et mettait le bien-être partout. Des chemins de fer sillonnaient les continents dans toutes les directions pendant que la marine à vapeur croisait sur tous les Océans.
— Le commerce avait fini par confondre les peuples à force de les rapprocher, l'échange des idées se faisant en même temps que l'échange des marchandises. Il n'y avait que deux nations dans l'univers, l'Europe et l'Amérique. Seulement ces deux nations se composaient de provinces qui retenaient leurs anciens noms, France,Italie, Angleterre, Etats-Unis, Mexique, Chine, Japon, etc., etc. On ne parlait qu'une même langue, les mœurs et les coutumes étaient devenues uniformes.
L'instruction avait banni l'ignorance et les préjugés de toutes les classes. Pas d'individu qui ne sût lire, écrire, rédiger ses contrats, tenir ses livres. La science elle-même était commune, la moindre petite ville possédait une ou plusieurs académies.
L'agriculture obéissant à une immense impulsion couvrait la surface du globe de plantations et de moissons. Les populations agricoles envahissaient les steppes et les savannes ; les déserts disparaissaient à vue d’œil sous les flots d'agriculteurs, l'abondance était partout. Personne ne mourait plus de faim.
La moralité croissait en proportion de l'amour et de l'émulation du travail L'oisiveté avec son cortège de vices et de crimes fuyait de la terre. On ne trouvait ni mendiants dans les rues ni voleurs sur les routes ni pirates sur les mers ni usuriers ni agioteurs ni escrocs dans les cités.
C'était l'Age d'or.
Une seule chose manquait au bonheur du genre humain.
L'unanimité de croyances.
A la vérité le christianisme était devenu la religion de l'univers, mais les dissidences continuaient dans son sein. La France, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, la Belgique, la moitié de la Bavière, la moitié de la Suisse, le tiers de la Hongrie, le Mexique,le Brésil, les colonies françaises étaient catholiques. L'Angleterre, la Hollande, la Suède, le Danemarck, les deux tiers de la confédération germanique, les Etats-Unis, les colonies anglaises, hollandaises et américaines suivaient le protestantisme. La Russie, la Grèce et leurs dépendances étaient schismatiques. Dans les pays que la civilisation avaient rendus chrétiens , les diverses sectes s'étaient propagées en proportion à peu près égaie selon qu'avait dominé l'influence de tel ou tel peuple européen. De sorte que les hommes réunis par la Charité restaient séparés dans leur Foi par centaine de millions, et bien qu'une large tolérance entretînt parmi eux la fraternité évangélique, on ressentait partout le malaise des idées religieuses en désaccord.
D'un autre coté la philosophie conservait ses adeptes, qui se tenaient à l'écart de tout culte extérieur et semblaient être d'une autre famille que leurs semblables, ce qui ajoutait au malaise.
Les deux grandes nations songèrent à faire cesser cet état de choses sans violence, sans guerre, sans troubles, uniquement par l'accord volontaire et universel des hommes.
Un Concile général, le plus considérable qui eut été tenu, se rassembla à Jérusalem. Il dura un an, pendant lequel il y eut émulation constante de Charité, de bonne Foi, de bienveillance et de conciliation. Chaque culte, chaque doctrine, chaque conviction furent tour à tour exposés, écoutés, examinés et appréciés sans que le calme et la fraternité de cette imposante assemblée reçussent la moindre atteinte.
Un illustre prélat français fit, dans un discours mémorable, le tableau de la société catholique. Il parla magnifiquement du catholicisme, de sa belle hiérarchie, de sa forte organisation, de la pompe et de la noblesse de sa liturgie, de ses savants théologiens, de ses intrépides missionnaires, de son pieux clergé. Il fut longtemps applaudi par tout le Concile.
L'archevêque luthérien d'Upsal fit une savante dissertation historique sur la réforme , sur ses causes et sur ses résultats en faveur de la liberté de conscience. Il s'appliqua à faire ressortir les points de contact existant entre le luthéranisme et le catholicisme , et il termina en exprimant le désir sincère d'un accord définitif. Son discours fut bien accueilli.
Un pasteur calviniste de Genève s'étendit fort éloquemment sur le christianisme de sa religion , sur l'austérité des mœurs et sur la piété des protestants; sur leur attachement pour les dogmes révélés dans la sainte écriture, sur leur Foi dans le Christ, verbe de Dieu , né de Marie pour le salut des hommes, et exprima également, au nom de ses co-religionnaires, le vœu ardent d'un entier rapprochement de tontes les sectes chrétiennes. Il reçut de nombreuses marques d'approbation.
Le grand Rabbin des juifs d'Allemagne, vénérable vieillard presque nonagénaire, après avoir fait l'éloge de la religion juive, montré son antiquité et raconté ses longs malheurs, déclara être prêt à rentrer avec tous les siens dans la réconciliation générale de l'Eglise. On l'écouta avec un religieux respect.
Un célèbre philosophe eclectique s'attacha à démontrer que la philosophie n'avait en pour but que le bien de l'humanité et le développement de l'intelligence de l'homme, afin de l'élever davantage vers le créateur. Il déclara aussi, au nom de ses disciples , qu'il donnait son assentiment le plus complet à la décision qui serait prise pour ramener le monde à l'unité de la Foi.
Enfin, l'êvéque deNovogorod , muni des pleins pouvoirs du Synode moscovite, lut publiquement l'acte d'adhésion des chefs de la communion gréco-russe à toutes les mesures que le
Concile jugeait à propos de prendre dans l'intérêt commun.
Plusieurs mois se passèrent en conférences et en délibérations pacifiques. Entre tous ces hommes qui s'estimaient et s'aimaient nonobstant la différence des croyances religieuses, l'accord de ces mêmes croyances avançait rapidement. II restait cependant encore quelques points de doctrine à traiter sur lesquels il n'y avait pas parfaite unanimité, et les membres de l'auguste assemblée s'affligeaient de ce retard, lorsqu'un d'eux s'écria comme inspiré :
« Mes frères, au lien de discuter plus longtemps sur ces questions ardues et qui peut-être sont insolubles pour notre faible raison, allons tous ensemble prier au Saint-Sépulcre de Jésus-Christ et ne nous relevons pas de dessus la pierre sainte que nous n'ayons obtenu, par la ferveur de notre prière, les inspirations que nous demandons vainement à notre sagesse. »
Cet avis fut adopté avec acclamation. Ils allèrent prier au tombeau du Sauveur, et leur prière fut exaucée, car, lorsqu'ils se relevèrent de dessus la pierre sainte, ils étaient tous d'accord, et, dans l'église même du Saint-Sépulcre, ils rédigèrent la formule d'union définitive et universelle.
Ainsi, dans ces saints lieux , où autrefois les apôtres avaient écrit le symbole et fondé le christianisme , le christianisme se retrouvait entier, pur, homogène comme Dieu et universel comme sa vérité infaillible.
Cet événement fut grand dans le monde.
Alors on vit que l'Evangile est vraiment le livre divin, puisque sa plus grande et sa plus difficile prédiction s'était accomplie : fiet unum ovile et unus pastor. [traduction: "il n'y aura qu'un seul troupeau et un seul pasteur", Jean X, 6]
La Charité avait ramené les hommes à la Foi par la civilisation.
Et il ne manqua plus rien au bonheur du monde.
Et du haut du Ciel Dieu se complut dans son œuvre de régénération , comme aux anciens jours il s'était complu dans son œuvre de création.

H.D., « Apologue », Courrier de la Drôme et de l'Ardèche, n° 9, quinzième année, mardi 20 janvier 1846.
Image:  "L'entrée du Saint Sépulcre", gravure par Sisbel d'après E. Breton. 1846

1 commentaire: