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ISSN 2496-9346

vendredi 17 octobre 2014

L de Beaumont, Les Derniers jours de la Terre (1879)

Alors qu'en ce début de XXIe siècle nous craignons le réchauffement ou le changement climatique, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'hypothèse d'un refroidissement général du système solaire du fait d'un soleil qui « s'éteint » était souvent évoquée. C'est le cas par exemple dans L'Amour dans Cinq mille ans de Fernand Folkney.



LES DERNIERS JOURS DE LA TERRE

Vous rappelez-vous cette belle légende arabe du voyageur éternel, qui, tous les mille ans, repasse par le même chemin ?
« Visitant un jour une ville très-ancienne et prodigieusement peuplée, raconte Kidz, le personnage fantastique, je demandai à l'un de ses habitants depuis combien de temps elle était fondée.
C'est vraiment, me répondit-il, une cité puissante, mais nous ne savons depuis quand elle existe, et nos ancêtres à ce sujet étaient aussi ignorants que nous.
» Dix siècles après, je revins aux mêmes lieux et ne pus apercevoir aucun vestige de la ville. Un paysan cueillait des herbes sur son emplacement. Je lui demandai depuis combien de temps elle avait été détruite.
En vérité, dit-il, voilà une étrange question. Ce terrain n'a jamais été autre chose que ce qu'il est à présent.
» A mon retour, mille ans plus tard, je trouvai ce même endroit occupé par la mer. Sur le rivage se tenait un groupe de pêcheurs à qui je demandai depuis quand la terre avait été couverte par les eaux.
Est-ce là, me dirent-ils, une question à faire par un homme tel que vous ? Ce lieu a toujours été ce qu'il est aujourd'hui.
» Au bout de mille autres années, j'y retournai encore et la mer avait disparu. Je m'informai auprès d'un pâtre qui gardait ses troupeaux sur les flancs d'une haute montagne, et il me fit la même réponse que j'avais eue précédemment.
» Enfin, après un égal laps de temps, je retournai une dernière fois dans ces parages. Une cité florissante, plus peuplée, et plus riche en monuments que celle que j'avais déjà visitée, s'étendait à perte de vue. Lorsque je voulus me renseigner sur son origine, les habitants me répondirent :
_ La date de sa fondation se perd dans l'antiquité, nous ignorons depuis quand elle existe, et nos pères n'en savaient pas plus que nous.
» Et après mille ans encore, ajoute Kidz, je repasserai par le même chemin... »
Là s'arrête le conteur du treizième siècle. Sans doute,il ne prévoyait pas la crise finale où la nature et l'humanité s'immobiliseront dans la mort. Au bout de ces transformations, de ce perpétuel recommencement des choses, il ne pressentait pas l'extinction totale de la lumière et de la vie. Telle quelle est, pourtant, cette allégorie est saisissante. Elle nous démontre notre petitesse ; elle définit à merveille l'illusion qui nous fait envisager comme immuable le monde au milieu duquel nous vivons, et nous apprend que l'histoire tout entière de l'humanité ne compte pas plus dans l'infini que celle du misérable insecte qu'un jour d'été voit naître, aimer, se reproduire et mourir.
Plus heureux que Kidz, je peux terminer ce grand voyage à travers les ans. Lui se bornait à noter les changements réalisés sur un point du globe ; je vais les embrasser dans leur ensemble, et d'un seul coup. Sans effort prophétique, sans invocations de cabale ni de magie, je veux, lecteurs, vous faire assister aux convulsions suprêmes de notre Terre, et décrire en quelque sorte de visu, l'effrayante minute qui marquera son anéantissement. — De même, grâce à la science, l'astronome détermine le moment précis où deux astres se rencontreront, l'heure et la seconde, où, dans cent ans, telle éclipse de lune ou de soleil épouvantera les campagnes.

...Notre planète est donc refroidie.
La chaleur centrale, faible et tiède déjà, ne parvient plus à la surface de l'écorce graduellement épaissie. D'incessantes infiltrations ont appauvri les mers. L'eau se retire, devant la rive ; les fonds océaniens s'élèvent ; les îles se rattachent aux continents ; les méditerranées disparaissent.
Chassés des régions septentrionales par le lent accroissement des glaces polaires, les peuples émigrent vers le Sud, où jusqu'aux derniers jours, vont se manifester les prodiges d'une civilisation agonisante.
Déjà la Russie, le Nord-Amérique, le Japon, le Thibet,l'Europe et la France — d'une part — n'existent plus qu'à l'état de souvenir, dans les vieilles chroniques, péniblement déchiffrées par un Champollion de ces temps-là. D'autre part le Sud-Amérique, la Nouvelle-Hollande et quelques autres terres australes, envahies par les glaces, sont mortes pour l'homme. L'Equateur seul est habitable. L'Afrique centrale, les Indes, les contrées voisines du grand canal interocéanique se couvrent de villes prodigieusement peuplées et les races aborigènes, mêlées aux débris des familles que le froid du Nord a poussées jusque-là, se confondent avec celles-ci dans une race unique et nouvelle, dont nul anthropologiste actuel ne saurait déterminer l'angle facial.
Alors se produisent d'étranges découvertes, des inventions inouïes, auprès desquelles les nôtres ne sont que de grossières ébauches. Placé dans un monde tout neuf, qui amasse pour ! lui depuis des milliers de siècles d'inestimables trésors, l'homme civilisé du Sahara, du Nil bleu, du fleuve des Amazones et des pampas ouvre enfin ses yeux étonnés sur les merveilles qui l'environnent ; il frappe le sol, et des miracles se réalisent. Une chimie, une mécanique, une dynamique nouvelles, sortent tout armées de son cerveau. L'air, la terre et ses entrailles, la, mer avec ses continents nouveaux, tous les éléments deviennent, entre les mains de cet homme perfectionné, des instruments dociles, qu'il dompte, assouplit et transforme au gré de sa fantaisie.
Et pendant ce temps-là, le Soleil, coeur du monde, astre pondérateur des mouvements de notre système, va pâlissant et se refroidissant par degrés...

Ecoutons ici M. Faye, l'éminent astronome :
« Ce coeur refroidi, c'est la mort. Quand le flambeau se sera éteint, la vie animale et végétale, qui auront depuis longtemps commencé à. se resserrer vers l'Equateur, disparaîtront entièrement de notre globe.
» Réduit aux faibles radiations stellaires, il sera envahi par le froid et les ténèbres de l'espace ; les mouvements continuels de l'atmosphère feront place à un calme complet ; les derniers nuages auront répandu sur la terre les dernières pluies ; les ruisseaux, les rivières et les fleuves cesseront de ramener à la mer les eaux que la radiation solaire leur enlevait nécessairement. La mer elle-même,entièrement gelée, cessera d'obéir aux fluctuations des marées. La terre n'aura plus d'autre lumière propre que celle des étoiles filantes, qui continueront à pénétrer dans l'atmosphère et à s'y enflammer. Peut-être les alternatives qu'on observe dans les étoiles au commencement de leur phase d'extinction se produiront-elles dans le soleil; peut-être le développement de chaleur, dû à quelque cataclysme de la masse solaire, rendra-t-il un instant à cet astre sa splendeur primitive, mais il ne tardera pas à s'affaiblir et à s'éteindre une dernière fois, comme les étoiles fameuses du Cygne, du Serpentaire et de la Couronne .
» Quant au reste de notre petit monde, planètes et comètes partageront le sort de la Terre, tout en continuant à circuler suivant les mêmes lois autour du Soleil éteint ! »
Mais avant cette effroyable fin qu'arriver a- t-il? Quelles seront, au milieu de cette décrépitude universelle, les destinées de la grande famille humaine ?

*.

Imaginons la dernière année de la terre expirante.
Les deux calottes glacées des pôles s'avancent peu à peu l'une vers l'autre. A l'Equateur, un cercle de terres encore habitées et de mers encore libres entoure le globe, dont les dix-neuf vingtièmes, sont morts déjà. Là, dans cette étroite couronne, la vie semble concentrée comme les derniers rayons d'une lampe près de s'éteindre. Les hommes et les langages sont confondus.
Les grandes espèces animales, chassées elles aussi par le froid, se mêlent aux survivants de notre race. Une promiscuité touchante unit toutes les créatures ; un seul sentiment subsiste : la fièvre de la conservation. On voit des grappes d'êtres tordus, enlaces pour chercher dans les flancs l'un de l'autre un vestige de chaleur. Les serpents n'ont plus de venin ; les lions et les tigres, plus de griffes redoutées. Les fauves fraternisent avec nous. Tout veut vivre et vivre encore, vivre jusqu'au dernier jour !

« Enfin, ce jour viendra. Les rayons d'un pâle soleil éclaireront un lugubre spectacle : les cadavres glacés de la dernière famille humaine morte de froid et d'asphyxie sur le rivage de la dernière mer desséchée !... »
« Après cette mort terrible, apparaîtra l'aurore d'une humanité nouvelle. Lorsque la vie aura disparu de la surface des planètes, cette même cause qui l'aura rendue impossible sur ces astres glacés la rendra possible sur le soleil refroidi.
« Alors, il passera par les diverses phases géologiques que les autres corps de notre système ont traversées. Une création organique viendra animer sa surface et sa planète nouvelle, il emportera lui aussi une humanité autour de ce cercle inconnu d'attraction qui l'entraîne présentement vers la constellation d'Hercule. Ce lointain soleil s'éteindra à son tour !..»

Chaîne mystérieuse et infinie !


L. de Beaumont, « Les derniers jours de la Terre », in Les Soirées littéraires, n°2, 9 novembre 1879

A lire :
Sur l'Autre face du monde : Une expédition polaire aux ruines de Paris

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