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ISSN 2496-9346

mercredi 10 avril 2013

L'avenir de la médecine: "anticipations médicales" (1921)

En 1921 paraissait dans le n°42 (tiens donc, voilà qui parlera aux amateurs de science fiction, les autres consultera la page 42 de Wikipedia pour comprendre) de Paris médical : la semaine du clinicien, dans la partie Variétés, les "Anticipations médicales" du docteur FM Grangère.
Voici le texte de cette amusante fantaisie:

ANTICIPATIONS MÉDICALES
La guerre a ramené le goût des prophéties. A vrai dire, ce goût a toujours existé. Sans compter les quatre grands et les onze petits prophètes hébraïques, la Sibylle de Cumes, la Pythie, l'apôtre Jean, Nostradamus, Cagliostro, Jules Verne et H.-G. Wells, on en trouverait assez aisément quantité d’autres moins notoires qui de tout temps s'exercèrent à soulever les voiles de l'avenir, pour s'exprimer comme le faisaient nos pères !
« De quoi demain sera-t-il fait? » Question éter­nelle.
Mirabeau, parlant de Robespierre, affirmait : ô ! iI ira loin ; il croit tout ce qu'il dit ! N’en est-il pas un peu ainsi pour les prophètes? Les plus persuasifs se croient sincèrement investis d’une mission.
Ajoutons toutefois ce correctif que les plus véridiques furent souvent ceux qui, tel notre grand Jules Verne, furent prophètes un peu à la façon de M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir.
En somme, il y a deux catégories de prophètes : Les vrais, les intuitifs, qui puisent tout dans le mystère de leur subconscient. Ou doit leur adjoindre les poètes, se souvenant que les Anciens n'avaient qu'un mot pour les désigner ainsi que les devins : votes.
Les faux prophètes — car ils ne prophétisent point — sont les déductifs. Partant de faits et de principes connus, ils en font découler simple­ment le probable.
En tout cas, si je me mêlais de prophétiser — lié ! pourquoi pas? — je me rangerais du côté des malins qui s'efforcent de voir loin plutôt que de voir juste ! Au moins... comme ça !...
Ne me parlez pas de pauvres petits oracles que, dans vingt ans, nous pouvons peut-être voir ne se point réaliser !
Je me souviens, étant adolescent, d'avoir beau­coup admiré un vieux confrère qui s'était acquis dans notre petite ville une juste réputation par son savoir et son dévouement.
Presque invariablement il terminait sa consultation de la façon suivante, s’adressant l'en­tourage de son malade :
«  Monsieur—ou Madame. — votre fils —ou votre frère — est très gravement touché ; mais ce n'est rien : il guérira s'il n'en vient à mourir ; ce sera fort long, à moins que le mal ne s’arrête tout court en son évolution ; je ne prévois point de compli­cations, mais il en peut surgir ; le cas est exception­nel, mais j'en ai vu quelques semblables. *
Pieu entendu, je ne vous donne que l’armature, la moelle du discours. Et je crois qu'une longue pratique, une douloureuse expérience de notre art décevant l'avaient amené ainsi à formuler ce qu'il pensait vraiment. Ah ! le bon prophète. Quels services il a rendus à la médecine! De quel respect il était entouré ! Il avait toujours raison. Je crois qu'il fut décoré sur ses vieux ans. On a bien fait !
Dans les débuts de ma carrière, j’ai bien tenté de l'imiter. C’est fort difficile. Il faut le don, l'au­torité. J'y ai renoncé!
* *
Ce qu'il y a d'agréable dans le métier de pro­phète, c'est qu’une seule prévision exacte en fait oublier cent autres absolument fausses. On remue volontiers tout le fumier d’Ennius, pour une perle qui s'y trouve.
Avez-vous remarqué le petit air modeste que se donnent nos actuels devins?
« Prophéties!...» voilà qui sonne trop fort; qui indispose notre siècle, lequel se prétend incré­dule. C'est que, comme le remarque judicieuse­ment Wells, à vouloir être prophète, on risque simplement de se faire assommer à coups de pierres. Ce n'est pas drôle !
Aussi, tout doucettement, a-t-on sorti ce petit mot qui n'a l'air de rien du tout, qui vous prend une allure à la fois sournoisement suggestive et naïvement hypocrite de vérité simplement un peu en avance : Anticipation.
Jadis, les conteurs interrompaient savamment leur récit au bon endroit en s'écriant : « Mais, n’anticipons pas !
Signe des temps ! Aujourd’hui l'on est pressé. L'on dit : « Hâtons-nous !... Allons ! un peu d'a­vance 1... Anticipations !... encore un pas !... nous y sommes presque... »

*
* *
Et la médecine?
Dites?... Si nous nous risquions ensemble? Voulez-vous?
Quel vaste étendue presque inexplorée, et com­bien il est surprenant que l'on n'y ait point davantage songé.
Pourtant, sans médire de notre art, le praticien y trouverait peut-être son compte. Un confrère, à l'esprit sarcastique et chagrin — oh ! le vilain ! — m’affirmait, il n'y a guère, que nous avons deux moyens seulement de nous consoler de la méde­cine actuelle.
Le premier, c'est de se réfugier dans le passé — le passé parfois si savoureux et qui, par contraste, nous donne l'impression agréable que nous avons marché à pas de géants ; le second moyen est de nous précipiter au-devant de l'avenir et de nous congratuler « par anticipation de ce qui ne peut manquer d'être réalisé demain.
Me risquerais-je?... Vous le voulez?
C'est dit ! Je monte sur le trépied.
Vers 1930 — ai-je assez d’audace ! vous serez tous là pour vérifier ! — vers 1930, le conflit entre l'Administration et les Syndicats médicaux pour les soins aux mutilés de la guerre viendra de prendre fin. La feuille que le praticien détache du carnet à souche pour y inscrire son ordon­nance, et dont chacun apprécie le confortable sera alors d'un format un peu réduit : celui d’un ticket de métro. N'est-ce pas Guéneau de Mussy qui a prétendu le premier que l'on pouvait ins­crire au dos d'une carte de visite tous les médi­caments utiles?...
Vers 1950, la réforme de renseignement médi­cal sera en passe d’être accomplie.
Des maîtres, soigneusement choisis, avec de sérieuses aptitudes pédagogiques et uniquement voués à renseignement, s’efforceront d'inculquer aux étudiants tout ce qu’ils doivent nécessaire­ment connaître pour soigner utilement des malades dès la fin de leurs études.
La thèse sera supprimée.
Il n'existera plus qu’un seul examen de fin d’études. Cet examen durera six semaines et aura lieu devant un jury appartenant à une faculté étrangère à celle où le candidat aura étudié. Les épreuves seront essentiellement cliniques, com­portant diagnostic et traitement. Toute faute grave comportera, outre l'ajournement à un an, la faculté laissée au malade de poursuivre le can­didat et de solliciter l’attribution de dommages-intérêts importants. Ainsi, les future praticiens auront un avant-goût des agréments de la carrière.
Vers l’an 2000, un honorable spécialiste de Baltimore présentera à l'Académie de médecine une intéressante auto-observation « La démence précoce rapidement guérie par l'irradiation lunaire. »
Une clinique sera organisée pour l'application du traitement. Les infirmières seront vêtues en Salammbô ; de 10 heures du soir à 3 heures du matin un orchestre jouera le Clair de lune de Werther...
Vers 2200, l’un des princes de la Clinique auscultera à Philadelphie et de Paris, par télé­phone sans fil, le roi du carton bitumé et posera, comme toujours, un diagnostic exact. Le malade mourra dans la nuit.
En 2500, la médecine aura évolué d'une façon qu’il nous est difficile de comprendre. Toute recherche médicale sera superflue et nul n’y songera. Une parenthèse est nécessaire.
Le corps médical actuel est horrifié par la conception que les esprits simplistes se font de la médecine. Un de nos confrères les plus fameux n'a-t-il point dit : « Il n’y a pas de maladies, il n'y a que des malades ». Or, le populaire s’ima­gine volontiers au contraire que notre rôle con­siste à reconnaître une maladie en face de laquelle est catalogué un remède. Précisément, en 2500, l’ardeur scientifique à son paroxysme aura tout épuisé, tout découvert. En face de signes pathognomoniques simples, nets, précis, nous n'aurons plus qu’à lire au Codex médical la médication scientifique infaillible.
Seuls quelques petits obstinés pâliront encore sur l’insoluble problème de la vieillesse et de la mort.
En 2525, quelques ambitieux donneront leurs consultations en cravate blanche et redingote ; certains laisseront pousser leurs favoris.
A la Faculté ou se battra pour ou contre l’anti­moine qu’un hardi chercheur aura mis en relief.
La mode sera à la saignée, à la purge et au clystère !...
*
* *
Et voilà ! vous voyez bien que c’est très simple d’être prophète.
Venez donc me prouver qu'il n’en sera pas comme je l’ai dit!

Docteur F.M. Grangère, Médecin-consultant à Aix-les-Bains in Paris Médical : la semaine du clinicien, n° 42, 1921, pages I à IV 




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