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dimanche 30 septembre 2012

Les dimanches de l'abbé Béthléem 13: juin 1909


Treizième épisode de notre exploration de Romans-Revue dirigée par l'Abbé Bethléem qui proposait au début du XXe siècle une lecture morale (rigoriste même) des parutions récentes (voir la présentation sur ArchéoSF).
Cette semaine, le mois de juin 1909.


Commençons cette copieuse chronique ( car il y a beaucoup de matière conjecturale dans ce numéro du juin 1909 de Romans Revue) par un conseil à la jeunesse donnée dans ce numéro de Romans Revue avec ces Quelques livres à conseiller au sortir du collège : 
« De romans, vous n'en trouverez qu'un petit nombre. L'excellent livre de M. l'abbé Bethléem: Romans à lire et romans à proscrire vous renseigne mieux que nous ne pourrions le faire sur ce point. Et puis — lui-même ne nous contredira pas, — vous avez mieux à faire, jeunes gens, qu'à lire de romans.
[…] Si ce sont les aventures qui vous passionnent..., dirai je ce que je pense ? oui ?... Eh bien ! vous êtes encore un peu... jeunes. Mais de grâce, remplacez cependant les Jules Verne et les Paul Féval, ou même les Conari, Doyle, par les Houssaye, les Costa, les Biré, les Hyde de Neuville, en attendant que vous goûtiez les Thureau-Dangin, les Vandal, les Kurth, les Goyau. »

Dans la critique des périodiques de l'époque, après avoir copieusement éreinté Le Siècle, journal républicain et souvent anticlérical, apparaît une longue étude de Je Sais Tout (édition Lafitte) dont le contenu est qualifié de « bouillabaise d'images incohérentes et de légendes tronquées » et Romans Revue condamne «La manie qui règne à l'heure, actuelle et emporte les journaux et les revues, c'est, non pas de traiter sérieusement une question sérieuse, ni même de dire quelque chose, mais de paraître au courant, d'avoir un petit mot pour tout et sur tout. »
Je Sais Tout est l'un des rares revues à trouver grâce (un peu) aux yeux (sensibles) des rédacteurs de Romans Revue pour la partie rédactionnelle: « on nous apporte de petits renseignements bien choisis et gentiment arrangés, on nous les donne sans prétention et l'on respecte suffisamment la morale et la religion. C'est quelque chose. » Il ne faut pourtant pas en abuser: « Qu'on en lise un peu de temps en temps, pour se distraire, passe. Qu'on ne lise guère que cela — et Je Sais Tout n'a rien de meilleur ni de plus sérieux, ni de mieux fait que cela, ordinairement, — qu'on ne lise que cela, franchement, c'est inadmissible... »
Mais quand on passe au contenu littéraire, la critique devient plus acerbe.
Il passe ainsi en revue des romans ou nouvelles policiers signés Maurice Leblanc ou Conan Doyle, avec ces termes:
« Les romans de Je Sais Tout, ses comédies et ses nouvelles, sont les plus propres que je connaisse, à déséquilibrer l'esprit, à détraquer les nerfs, à faire chavirer la raison.
Comédie policière : SHERLOCK HOLMES, comédie en 4 actes, tirée par M. Pierre Decourcelle, du roman de Conan Doyle.
L'AIGUILLE CREUSE, NOUVELLES AVENTURES D'ARSÈNE LUPIN les premières avaient été publiées au cours des années précédentes roman du même genre que Sherlock Holmes, par Maurice Leblanc.
On a dit assez, dans Romans-Revue, ce que vaut ce genre de romans. Ceux qui ne seraient pas convaincus pourraient lire l'ouvrage de M. Louis Proal sur le Suicide et le crimepassionnels (chez Alcan). Je n'insiste pas ».
L'auteur dit ensuite quelques mots sur des nouvelles fantastiques:
L'Homme qui a vu le Diable , par Gaston Leroux. Le mystérieux Dajan-Phim par Michel Corday, LA TRESSE BLANCHE, par René Maizeroy, On? par Maurice Level. Toutes ces nouvelles reposent sur des données superstitieuses et relatent des faits d'occultisme. Tantôt l'auteur y croit ou feint d'y croire ; tantôt il explique fort naturellement — du moins il essaie —des phénomènes extraordinaires. Dans tous les cas, il aiguille l'imagination, il pousse la curiosité vers des problèmes fort troublants, vers des expériences excessivement dangereuses.

Suivent d'autres textes:

LE MIRAGE par Abel Hermant, LES TROIS MASQUES par Charles Méré, Le grand moteur Rrown-Péricord par Conan Doyle, mettent en scène des criminels déséquilibrés, hallucinés, complètement en dehors de la morale courante, et irresponsables. De même TÉNÈBRES par Victor Margueritte.
Dans cette dernière nouvelle, on prend soin moins, de nous avertir qu'il s'agit d'un plaidoyer — et combien tapageur — contre la peine de mort. C'est aussi un plaidoyer contre la peine de mort que l'on essaie dans la CROIX DE FER, par J. H. Rosny, même dans la FLÈCHE AU CURARE, par le même H. Rosny. Je citerai encore : LE PUITS DE GLOIRE par H. Duvernois, histoire abracadabrante d'un homme de génie, assassiné par un confrère jaloux, qui lui vole ses manuscrits et devient fou. LA DORMEUSE par André de Lorde, cas de léthargie assez troublant.
Tous ces romans, contes ou comédies, nous transportent dans une atmosphère très spéciale, où on ne respire que meurtre, passion, folie, erreur judiciaire et magie. C'est à vous renverser les têtes les plus solides, « à vous faire douterde tout ou croire à tout »,comme dit René Maizernoy, à vous tordre les nerfs et à vous halluciner. Cette littérature-là n'est bien saine pour personne.

C'est donc cette présence des textes de fiction qui fait émettre des réserves à Léon Jules: « De tout cela que conclure ? En somme, s'il n'y avait les romans, Je Sais Tout serait peut-être l'une des moins mauvaises parmi les revues neutres. Il a même parlé avec éloges de nos missionnaires ; et je n'ai trouvé qu'un seul article qui put choquer peut-être la croyance traditionnelle. Mais il y a les romans, et, à eux seuls, ils suffisent amplement à justifier nos alarmes. »

Les amateurs de littérature conjecturale peuvent se référer à l'excellente "esquisse bibliographique des oeuvres conjecturales et fantastiques" parues dans Je Sais tout réalisée par Jean-Luc Boutel.

Les "Romans du mois" proposent trois oeuvres relevant de la conjecture avec Marcel Barrière, Le Monde Noir et Henry Kistemaeckers, Aéropolis et O de Traynel, Elisabeth Faldras.

Marcel Barrière les trouve dans les lointaines régions de l'Afrique.La dépopulation de la France le préoccupe. Notre décadence l'effraie. Le remède en est dans notre immense empire africain.Un prince, après une vie de désordres, a donné sa démission d'officier. Ruiné, il est recueilli par d'anciens maîtres, les Oratoriens de Toulon. Un ami lui écrit qu'il démissionne lui aussi, pour se faire explorateur. Ils font, tous deux,deux magnifiques champions de la France : ils rêvent de lui conquérir l'âme africaine. L'un se fait père blanc, et fonde une cité nouvelle au Niger. L'autre, le prince, devient gouverneur du Tchad. C'est ainsi, sans se décourager, qu'ils continuent de lutter pour leur idée généreuse, pour le salut de la France, après les affaires de Fachoda et du Maroc.C'est ainsi que la patrie, sauvée, des désastres provoqués par l'avènement du socialisme, trouve là-bas des formes inconnues qui l'aideront à tenir, tête au kaiser, à l'Europe entière, et se refait par la France noire.
L'étrange et l'invraisemblable, M. Kistemaekers va les chercher dans l'air.Mais ceci n'est plus un roman à thèse ou à idées, c'est le roman comique de l'aviation, écrit avec la verve un peu grosse d'un flamand qui voudrait dire en français des plaisanteries.Ce sont les mémoires de l'aéroplane. Il s'est multiplié, il est devenu légion. L'air en est obscurci. Du ciel, tombent toutes sortes de choses désagréables pour les pauvres piétons. Le soleil manque: une maladie nouvelle se produit qui est vite guérie heureusement. Toutes ces histoires d'un autre monde sont contées avec le sérieux et la gravité qu'y mettrait un vieux pacha. Il paraît qu'elles sont spirituelles et comiques. . . .Le narrateur finit par être pris par les Jaunes qui sont tombés sur l'Europe désarmée et grâce à sa force musculaire parvient être un noble japonais passant ici-bas une vie idéale.[...]Voulez-vous de l'aventure, du singulier et de l'étrange ?Lisez le livre d'O de Traynel qui vous en donnera à foison. On croirait d'une réédition, d'une transposition de Vers plus de Joie dont il était parlé ici même il n'y a pas très longtemps.Plus d'Europe : les Etats fédérés de l'Europe ont leur siège à Bruxelles. Faldras et sa fille ont découvert un sérum qui prolonge la vie : Faldras lui-même a déjà 340 ans.Mais la vie prolongée amène la famine dans le pays jaune surpeuplé. Les Jaunes — avez-vous remarqué la place qu'ils tiennent dans tout roman qui fait la chronique de l'avenir?— les Jaunes ont envahi l'Europe, comme une nuée de sauterelles, et grâce à des engins perfectionnés, électrocuteurs, brûleurs, aéronefs, bombes courantes, dominent le vieux continent. Paris est assiégé, Berlin est pris. Electrica, la ville souterraine où sont retirés pour le travail Faldras et sa fille Elisabeth, va être prise à son tour. Grâce aux ingénieurs, une mine de montagne provoque, un volcan qui détruit l'armée jaune qui l'attaquait. Après mille combats et péripéties, on apprend qu'Elisabeth Faldras vient de faire la découverte à laquelle elle songeait depuis longtemps : des pilules minuscules contiennent tous les éléments nutritifs, faites avec l'eau, l'air et le reste. On n'a plus à craindre la famine, La paix se fait entre blancs et jaunes qui vivront désormais vieux et pacifiques.

Dans le "Carnet de Romans Revue", il est question de Paschal Grousset, plus connu sous le pseudonyme d'André Laurie:

Paschal GROUSSET naquit en Corse en 1844. Il fut d'abord carabin ; mais en 1869, il entra à La Marseillaise, à côté de Rochefort. Victor Noir fit sa fortune. A la suite d'une lettre de Pierre Bonaparte à tin journal corse, Grousset avait, en effet, envoyé au prince ses témoins.L'un d'eux était Noir. Il en mourut, et ce coup de pistolet tira de l'ombre son client, qui se mit à reluire presque tout de suite au soleil de la Commune. Le gouvernement révolutionnaire le bombarda Ministre des Affaires étrangères, et cela lui valut la Nouvelle : car il échappa encore à la balle des Versaillais. En 1874, il s'évadait du bagne, et il vécut jusqu'à l'amnistie, en Australie et à Londres, d'expédients et au besoin d'indélicatesses. Elu plus tard député, il espéra un portefeuille ; mais tant d'anciens communards assiégeaient le pouvoir, qu'il échoua.Il a publié de nombreuses brochures ; il a collaboré au Temps où sous le nom de Philippe Daryl, il envoya d'abord des correspondances anglaises, puis des romans traduits de l'anglais, tels Polly, La Légende de Godiva, L'Enquête du Coroner, En Yacht.Sous le nom de Tiburce Maray, il publia dans le même journal de nombreux articles sur la vie publique d'Outre-Manche et une série de plaidoyers sur « Les jeux à l'école de l'éducation nationale », et enfin des romans : Un ménage royal, Vasili Samarin.II reste surtout — j'allais dire seulement— de lui, les ouvrages qu'il signa André Laurie, dans le Magasin d'éducation et de récréation, chez Hetzel : Scène de vie de collège dans tous les pays (13 volumes) ; Atlantis, Le capitaine Trafalgar ; Les chercheurs d'or de l'Afrique Australe (3 vol.) ; L'héritier de Robinson ; de New-York à Brest en 7 heures ; Le rubis du Grand Lama ; Sélène-Company Limited (2 vol.) ; Le secret du mage. Ces ouvrages pourraient entrer dans la bibliothèque d'un bachelier qui aime les voyages et les aventures.
A dimanche prochain!

(PS: les images et les liens vers les "dimanches" de l'abbé Béthléem seront prochainement intégrés dans ce billet)



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